Black Astronaut
Le Moustique du Québec
By Hervé St-Louis
February 9, 2016 - 10:15





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Louis Morissette Sources: La Presse
L’an dernier j’ai abandonné ma réserve habituelle sur les sujets impliquant les conflits culturels pour dénoncer les propos racistes de la chroniqueuse Sophie Durocher. Un peu après un an plus tard, je dois reprendre la plume pour continuer un combat idiot. Mais cette fois-ci, je le ferai en français pour bien me faire comprendre.

En janvier 2016, le réalisateur Canadien Louis Morissette voulant parler de l’ingérence des dirigeants des grandes maisons médiatiques a qualifié de censure et d’atteinte à la liberté de création le fait que les avocats de Radio-Canada l’aient « obligés » à embaucher un noir pour jouer un rôle dans le Bye Bye 2015. Le Bye Bye est une revue annuelle de l’actualité du monde québécois depuis 1968.

Moi et l'autre

Le Bye Bye annuel se veut un reflet de la société québécoise. C’est une façon pour les Québécois de se retrouver en famille nationale et de rire de soi-même. Comme la majorité des émissions produites à Montréal par Radio-Canada, le Bye Bye ne reflète pas la réalité des francophones au Canada. Le Bye Bye est produit pour alimenter le « nous » collectif des Québécois et de ce fait exclut traditionnellement l’autre, qu’il soit francophone hors Québec, Canadien anglais, Asiatique ou Noir.

L’autre, d’un point de vue sociologique, c’est l’étranger du philosophe Georg Simmel qui vient chez toi, dans ta tribu mais qui ne part pas. Cet étranger, il n’est ni visiteur ni reclus. L’étranger a adopté notre groupe et notre terre pour y rester. Mais d’après Simmel, l’étranger, il fait partie du groupe et y joue un rôle. L’autre a pour référence son propre point d’origine mais aussi celui du groupe qui l’accueille.

Quand l’autre critique sa tribu d’accueil, il dérange car son rôle c’est souvent d’être un juge impartial. Quand le Canada anglais se questionne sur les pratiques québécoises, il joue ce rôle de juge, souvent détesté. L’autre a la flexibilité de jouer une panoplie de rôles que les membres originaux de la tribu ne peuvent occuper. De ce fait l’autre fait souvent le travail sale rejeté par les membres du groupe, tel que chauffeur de taxi, infirmière, ou propriétaire de dépanneur.

L’autre dans la société québécoise, ce n’est pas la direction de Radio-Canada. L’autre dans le cas Morissette, est composé du groupe que le réalisateur appelle « les moustiques ». Morissette a qualifié de moustiques ces commentateurs provenant des réseaux sociaux qui ont critiqué l’utilisation du visage cendré dans des sketchs provenant de la télévision et du théâtre québécois depuis quelques années.


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Norman Brathwaite, Chez Denise, 1980 Sources: Radio-Canada (YouTube)
Comme beaucoup d’intervenants ne comprenant pas les médias sociaux, Morissette a choisi de qualifier ses critiques œuvrant sur Twitter, Facebook, Instagram, YouTube et sur une panoplie de blogues de moustiques inconséquents. L’autre, armé d’un ordinateur et d’un puissant moteur de recherche n’a pas de valeur ou l’importance des personnalités et des journalistes dont les plateformes principales sont les médias imprimés, télévisuels et radiophoniques. Pour Morissette c’est une honte que les dirigeants de Radio-Canada aient concédé la liberté de création à une poignée d’auditeurs qui ne font même pas partie du nous collectif.

Morissette ne comprend pas comment les réseaux sociaux contribuent au visage médiatique dans l’économie de l’information, que ce soit au Québec ou ailleurs en Occident. Ce que j’enseigne à mes étudiants de premier cycle chaque année, c’est que les réseaux sociaux et les contenus numériques provenant d’Internet, par exemple, sont fortement intégrés dans les médias traditionnels par toutes sortes de liens. Par exemple, le site de Radio-Canada fait partie intégrante du contenu culturel généré au Canada français. Les volets télévisuels et radiophoniques de Radio-Canada s’abreuvent et échangent en permanence avec le volet Web de Radio-Canada. Radio-Canada, c’est aussi Internet.

De ce fait, tout intervenant culturel utilisant Internet, la télévision, la radio ou l’imprimé est un acteur co-constituant de notre économie et culture de l’information. Morissette ne peut rejeter les moustiques quand ça lui plaît en qualifiant leurs contributions à la société civile de piètres vu leurs absences sur certains canaux de diffusion. Cette même absence est le point que dénoncent les moustiques. Ce qu’une brève analyse de réseau démontre, c’est que les moustiques ont réussi à établir des réseaux alternatifs capables de faire entendre leurs points de vue à un public qui leur a toujours échappé dans le passé.

Le Visage cendré

C’est quoi le visage cendré? Le visage cendré mieux connu sous le terme anglais « blackface » est une pratique où un acteur d’origine caucasienne se maquille le visage de cendres ou de fond de teint pour imiter un noir. La manifestation moderne de cette pratique a pris force aux États-Unis et au Canada avant la guerre de sécession aux États-Unis mais s’est augmentée après. Puisqu’on ne pouvait plus tenir les Noirs en esclavage, on se moquait alors de ces nouveaux nègres libres qui portaient des costumes pour être de convenance. Un des personnages-types des spectacles « Minstrel » était le « Dandi ». C’est un bouffon en costume. Un autre c’est « Jim Crow » l’ancien esclave noir boiteux.

L’utilisation du visage cendré a bel et bien existé aux Québec. D’après le chercheur Brian Christopher Thompson, le compositeur du Ô Canada, Calixa Lavallée a eu un passé riche comme acteur de spectacles Minstrel.


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Norman Brathwaite, Chez Denise, 1980 Sources: Radio-Canada (YouTube)
Les Noirs aussi peuvent faire du visage cendré. Le comédien Normand Brathwaite a commencé sa carrière, comme nous le rappelle la chroniqueuse Rachel Décoste en imitant la version francophone du Minstrel québécois, l’Haïtien avec un fort accent en costume de pingouin. Il fut embaucher par Denise Filiatrault, la même productrice qui en 2014 se vantait d’avoir donné du travail aux Noirs durant toute sa carrière et de ne pas avoir eu recours au visage cendré du type Minstrel dans le passé.

Brathwaite est le Noir que Morissette a été forcé d’embaucher pour imiter un Noir dans le Bye Bye 2015. Brathwaite en allant sur les ondes de Vtele, se porte à la défense d’un Québec ouvert qui est la terre la plus inclusive au monde. Brathwaite tente d’utiliser sa qualité en tant que Noir pour banaliser les critiques des moustiques.

Cependant, Brathwaite n’est pas l’autre. Il est ce que les Américains et les Sud Africains appellent un Blanc de convenance (Honorary White). Quand Brathwaite parle du racisme non existant au Québec, il en parle comme membre du groupe de souche. Il fait partie du nous. Brathwaite dans plusieurs entrevues sur sa carrière partage souvent qu’il ne sait rien sur le côté jamaïcain de sa famille et de son héritage.


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Norman Brathwaite, Bye bye 2015 Sources: Radio-Canada (YouTube)
De plus, pour imiter le journaliste noir François Bugingo, Brathwaite a été maquillé de fond teint brun. Ensuite, en suivant les indications de Morissette, il s’est habillé en Dandy avec un costume rose et en portant un haut-de-forme tout comme dans les spectacles Minstrel traditionnels. Tout comme à ses débuts avec Denise Filiatrault il a fait un sketch de visage cendré en imitant une fois de plus un dandy à la télévision publique. Louis Morissette se plaignant de ne pouvoir utiliser de visage cendré dans un sketch du Bye Bye par la direction de Radio-Canada l’a quand même fait grâce à Normand Brathwaite.

Hervé Saint-Louis est candidat au doctorat dans la faculté de l’information à l’Université de Toronto. Ses recherches principales portent sur les interactions homme-machine et l’ergonomie de la sécurité informatique.


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